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Amman2Paris interview
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Les Mandéens

Les Mandéens

 

Un peu d’histoire

Le mandéisme est le seul mouvement religieux survivant depuis l’Antiquité à s’identifier avec le gnosticisme (une hétérodoxie judaïque par la suite hellénisée et christianisée, dont l’existence est attestée par les écrits de Qumrân ou manuscrits bibliques de la Mer Morte). C’est également le dernier mouvement héritier des Baptistes, dont l’existence est attestée dès la fin du Ier siècle dans de nombreux textes chrétiens.

Le mandéisme est une religion monothéiste, qui ne compte plus que quelques milliers de membres. Elle s’organise autour de la croyance en Dieu et en son « Envoyé céleste » : le premier Mandéen à avoir reçu les instructions divines est Adam ; le dernier et le plus important de leurs prophètes est incarné par Jean le Baptiste. Les Mandéens (ou nasoréens) considèrent Moïse, Jésus-Christ et Mahomet comme des usurpateurs ; ils vouent un culte à diverses figures bibliques (Abel, Seth, Noé, Shem, Aram).

Dès le Xe siècle, les auteurs et juristes musulmans se sont interrogés pour savoir s’il fallait compter les Mandéens parmi les « Gens du Livre / ahl al-kitab » (dans lesquels on trouvait déjà les Juifs et les Chrétiens) mentionnés par le Coran. Y figurer donnait en effet le droit aux croyants de pratiquer leur religion, moyennant le paiement d’un impôt, la jizya. Ce statut, accordé aux Sabéens de Chatt-el-Arab (région d’Irak à proximité du Tigre et de l’Euphrate), a néanmoins mené à des débats concernant les « Sabéens de Harran », vivant plus à l’Ouest.

Le mandéisme repose davantage sur un patrimoine commun que sur un ensemble codifié de croyances et doctrines religieuses : il n’existe pas de représentations, images ou icônes servant de support à la prière mandéenne, ni de guide de base de leur théologie. De nombreux textes ont toutefois été découverts au cours des siècles ; parmi eux, la Genza Rabba (« Trésor ») occupe une place particulière. Il s’organise en deux parties (la Genza Smala, « Genza de gauche », et la Genza Yemina, « Genza de droite ») et suggère une théologie dualiste, typique d’autres religions iraniennes (zoroastrisme, Manichéisme, enseignements de Mazdak).

Les Mandéens opposent en effet le « monde d’en-haut », ou « Monde de la Lumière » au « monde d’en-bas ». Sur le premier règne le Dieu de la Lumière, qui porte différents noms : Haii (créateur de la vie), « Roi » ou « Seigneur de la grandeur ». Ce monde est multiple : de nombreuses entités y séjournent et sont appelées « richesses ».

Par opposition, le monde d’en bas est celui des ténèbres ; son chef (et non dieu, ce qui fait bien du mandéisme la plus ancienne doctrine monothéiste) est appelé Roha. Il est également gouverné par un prince, Ptahil, qui a corrompu les êtres spirituels pour les amener à créer notre monde. Il œuvre en compagnie de deux autres figures : Abathur, dont le rôle est de juger les âmes des mortels, et Yushamin, le plus élevé de ces trois démiurges, qui fut sévèrement puni pour s’être opposé au Dieu de la Lumière.

Historiquement, la communauté mandéenne s’est formée autour de mouvements évoluant en marge du judaïsme et du christianisme, en Palestine et en Transjordanie (ancien nom de l’actuelle Jordanie). Chassés de Jérusalem, ils auraient ensuite migré jusqu’à la Mésopotamie et sont ainsi d’origine pré-islamique. Sémites (= locuteurs de langues sémitiques, du nom de Sem, le dernier fils de Noé ; répartis principalement en Mésopotamie, dans le Moyen-Orient et dans la Corne de l’Afrique), ils parlent un dialecte oriental de l’araméen (le Mandéen).

 

Aujourd’hui : une communauté éparpillée et persécutée

« Seul Dieu a le pouvoir de prendre une vie. Aucun fidèle n’en a le droit, jamais.

[…]

Donnez du pain, de l’eau et un abri aux personnes pauvres, dans le besoin, et à celles qui subissent la persécution. »

Avant le déclenchement de la guerre d’Irak (2003), on comptait près de 75.000 Mandéens, établis pour la plupart dans ce pays, à proximité du Tigre et de l’Euphrate (notamment dans la partie commune aux deux fleuves, le Chatt-el-Arab) ; ainsi qu’une minorité notable dans la région du Khuzestan iranien (autour du fleuve Karoun).

Aujourd’hui en Irak, ils sont en voie de disparition : leur communauté ne compte plus aujourd’hui que quelques milliers de membres, éparpillés à travers le monde et posant ainsi la question de la pérennité de leur culture et leurs croyances. S’ils ont réussi à traverser les siècles grâce à un délicat équilibre dans leurs relations et leur cohabitation avec les autres communautés irakiennes, la guerre de 2003 a eu des effets désastreux. En raison des principes pacifistes fondamentaux de leur religion, les Mandéens ont en effet interdiction de prendre les armes, même pour leur propre défense : face à la montée des groupes islamistes radicaux, ils se sont donc trouvés exposés à de réguliers kidnappings, extorsions, viols, passages à tabac, torture, meurtres et conversions forcées. Des violences qui se sont encore renforcées avec l’émergence de Daesh et sa politique de persécution systématique des minorités confessionnelles.

La plupart des Mandéens ayant réussi à fuir ont d’abord trouvé refuge en Syrie et en Jordanie. La crise syrienne oblige ceux qui s’étaient établis dans le pays à reprendre la route de l’exil pour des états plus lointains, tels les Etats-Unis, l’Australie ou la Suède.

Contrairement aux réfugiés chrétiens et musulmans, les Mandéens n’appartiennent pas à une grande communauté religieuse capable de leur procurer aide et protection. Isolés et laissés pour compte, ils sont encore moins nombreux et plus vulnérables que les Yézidis (minorité irakienne kurdophone établie dans les villages du Nord du pays, quand les Mandéens sont éparpillés en petites poches à travers les régions du Sud). Ils sont la seule minorité en Irak à ne bénéficier d’aucune enclave géographique protégée.

Lorsque les Mandéens tentent de trouver refuge au Kurdistan irakien, dans le Nord du pays, ils doivent faire face à de nombreuses difficultés. Méprisés en tant qu’arabophones du Sud, ils sont l’objet de régulières exactions dès lors que leur appartenance religieuse est découverte. En Syrie et en Jordanie, ils ne peuvent pratiquer leur religion au grand jour. Par conséquent, nombre d’entre eux finissent par opter pour la conversion, afin de pouvoir recevoir de l’aide des structures et communautés chrétiennes ou musulmanes.

Ces difficultés matérielles viennent s’ajouter à un fonctionnement communautaire particulier : il n’est en effet pas possible de se convertir au mandéisme, tandis qu’un Mandéen ne peut se marier avec un non-croyant. Cette nécessaire endogamie contraint la communauté à ne compter que sur l’accroissement démographique naturel, et explique son faible poids numérique en dépit de l’ancienneté de son existence.

Avant que la cérémonie ne débute, les prêtres plongent dans l’eau de la rivière les tissus nécessaires à la pratique des rites baptismaux

Avant que la cérémonie ne débute, les prêtres plongent dans l’eau de la rivière les tissus nécessaires à la pratique des rites baptismaux

Approche anthropologique : rite du baptême lors de la fête de la Création

Le rite du baptême occupe chez les Mandéens une place particulière, car c’est par lui que le croyant est purifié. Il ne peut se pratiquer que dans un cours d’eau (l’eau stagnante, comme dans un lac, étant interdite) ; d’où l’établissement systématique des communautés à proximité de fleuves et rivières (le Tigre, l’Euphrate ou le Jourdain). L’eau courante est en effet, chez les Sabéens, un élément essentiel : elle jaillit du Royaume de Lumière et représente ainsi l’émanation de ce dernier au sein du monde mortel. Elle fait partie du processus de création : il s’agit d’une substance de vie, à partir de laquelle chaque vie est créée.

L’exode des Mandéens en Jordanie a débuté en 2003, lorsque la situation a commencé à se dégrader pour eux en Irak. La plupart sont cependant arrivés depuis 2014, suite à l’essor de Daesh et aux violentes exactions perpétrées à leur encontre (voir leurs témoignages). Suite aux tensions rencontrées avec les Jordaniens, les Mandéens ont obtenu des autorités que leur soit accordé un lieu où pratiquer leur religion : une portion de rivière, dans le Wadi Shu’ayb, à une heure de route d’Amman, la capitale, où s’est établie la communauté. Les Mandéens s’y rendent chaque dimanche, en bus, pour leur célébration hebdomadaire.

Les baptêmes sont réalisés par des prêtres, exclusivement masculins, et dont le rôle et la fonction varie en fonction de leur statut. Au premier stade, on trouve les assistants (al halali) ; une fois mariés et pères, ils peuvent devenir prêtres et pratiquer les baptêmes (al termitha). On les distingue des cheirs chargés des rites liés aux esprits des défunts (al guinzabra) ; à ce titre, la seule eau dont ils sont autorisés à user (pour boire, manger, se laver) est celle de la rivière à laquelle est attachée la communauté. Enfin, au sommet de la hiérarchie se trouve al rish oumma, chef de la communauté des croyants et qui réside actuellement à Bagdad.

A la mi-mars a lieu, chaque année, la fête de la Création, une des principales cérémonies du calendrier mandéen. Pendant cinq jours, la communauté se rassemble sur les rives du fleuve auquel elle est attachée et chacun de ses membres est invité à pratiquer le rite du baptême. Cette cérémonie, quasiment inchangée, serait la même que celle reçue par Jésus de la part de Jean-Baptiste.

Cette cérémonie se déroule en plusieurs étapes, au cours desquelles hommes et femmes sont strictement séparés. Durant toute sa durée brûle de l’encens, destiné à purifier l’air et les corps de ceux qui le respirent. Chacun des croyants revêt, à cette occasion, un vêtement blanc (al rasta) composé de cinq éléments :

  • une longue chemise
  • un pantalon blanc
  • une ceinture de laine doublement nouée à la taille
  • un turban ou une coiffe, qui se composent d’un tissu noué sur la tête
  • un foulard ou cordon passé autour du cou
Ainsi vêtu, chaque fidèle doit pénétrer individuellement dans la rivière afin de s’y purifier, selon des gestes répétés trois fois. Ils reviennent ensuite sur la berge et se passent, à l’annulaire ou l’auriculaire de la main droite, une bague réalisée à partir de feuilles de myrte, symbole de vie et de renaissance.Ainsi vêtu, chaque fidèle doit pénétrer individuellement dans la rivière afin de s’y purifier, selon des gestes répétés trois fois. Ils reviennent ensuite sur la berge et se passent, à l’annulaire ou l’auriculaire de la main droite, une bague réalisée à partir de feuilles de myrte, symbole de vie et de renaissance.

Ainsi vêtu, chaque fidèle doit pénétrer individuellement dans la rivière afin de s’y purifier, selon des gestes répétés trois fois. Ils reviennent ensuite sur la berge et se passent, à l’annulaire ou l’auriculaire de la main droite, une bague réalisée à partir de feuilles de myrte, symbole de vie et de renaissance.

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Tous se rassemblent ensuite autour de la Darfash, une croix d’olivier drapée d’un tissu blanc et surmontée de feuilles de myrte, pour y prier : ce rituel est la condition préalable pour être autorisé à pénétrer à nouveau dans la rivière et y recevoir le rite du baptême. Celui-ci peut alors débuter.

Le prêtre pénètre d’abord seul dans l’eau et en appelle aux fidèles, restés sur la berge. La cérémonie débute avec une prière, prononcée le bras levé vers le ciel afin d’invoquer la Lumière (principe organisateur du monde d’en-haut).

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Chacun à son tour, les croyants se dirigent vers le prêtre et viennent s’accroupir à ses côtés, après l’avoir contourné. Celui-ci leur asperge le visage, les immerge, puis leur donne à boire l’eau du fleuve directement dans sa main ; chacun de ces gestes étant répété trois fois de suite. Le baptême est en effet pensé comme une purification du corps et de l’esprit. Le processus d’immersion et le fait de devoir retenir un temps sa respiration sous l’eau représentent la mort ; en revenant à la surface, le croyant connaît ainsi une renaissance. Des prières, hymnes et invocations accompagnent ce mouvement d’immersion, récitées par le prêtre et que répète le baptisé, afin de reconnaître ses fautes, faire pénitence et implorer de Dieu pitié, pardon et aide.

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Le prêtre passe ensuite, à trois reprises, un peu d’eau sur le front du baptisé, lequel prolonge ce geste en s’essuyant avec l’un des cordons de sa coiffe. Ce geste représente ainsi la purification de l’esprit après celle du corps : « on passe de l’eau sur le front et non sur les yeux car, si l’on ne peut empêcher ces derniers de voir des choses bonnes comme mauvaises, il est en revanche possible de chasser de son esprit les pensées et intentions mauvaises ».

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Enfin, le prêtre ôte la bague du doigt du fidèle et la place sur sa tête, juste sous sa coiffe, pour symboliser la couronne de renaissance. Puis il bénit le baptisé, avant de l’inviter à rejoindre la rive.

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Là, ce dernier doit tourner quatre fois autour de la croix drapée évoquée précédemment, tout en récitant une prière. Le rite du baptême s’achève de façon communautaire : les fidèles se rassemblent, hommes et femmes toujours séparés ; le prêtre répand sur leur front une préparation à base de graines de sésame et les fait communier à « l’eau cérémonielle », mambuha. Tous prient, ensemble, et partagent une partie de la nourriture préparée par le cheir(prêtre de « troisième grade », évoqué précédemment) à destination des esprits des défunts.

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Sources – Pour aller plus loin : 

  • Encyclopédie Universalis, article « mandéisme »
  • « Save the Gnostics», tribune publiée dans le New York Times par Nathaniel Deutsch, professeur d’histoire des religions à l’Université de Swarthmore (octobre 2007)
  • terrain anthropologique auprès de la communauté mandéenne exilée en Jordanie (février-août 2016)